En l'an de grâce 1973, moins d'un an après leur opus précédent Black Sabbath présente un cinquième et nouvel album, confirmant ainsi avec un rythme stakhanoviste de productions - s'accompagnant invariablement de qualité et de succès - leur place de leader dans le monde naissant du heavy metal.

La rapidité de cette carrière s'apprécie d'autant plus qu'en très peu de temps, l'évolution du groupe semble naturelle et logique. Ainsi, après un plus recherché en termes de composition et d'éléments sonores, l'album Sabbath Bloody Sabbath continue dans cette voix avec une musique inspirée par le rock progressif dans sa volonté de combiner les genres. D'ailleurs Rick Wakeman du groupe Yes en personne viendra prêter ses doigts sur deux titres. Malgré les impressionnants délais, les musiciens reconnaissent malgré eux avoir manqué d'idées lors de sa composition. Certes la guitare de Lommi envoie toujours des riffs marquants, comme celui du titre éponyme, mais apparaissent également des changements et des expérimentations sonores qui jouent plus sur la surprise que sur la cohérence. Citons par exemple le mélancolique "Fluff" qui, s'il remplit à merveille son rôle psychédélique, sent quand même un peu le remplissage. Le groupe joue d'ailleurs principalement sur leur son et sur les arrangements. Tout est bien imbriqué, personne ne marche sur les pieds de personne, et il n'y a aucun temps mort. Vous trouverez ainsi une intervention au piano sur "Sabbra Cadabra", un break r-n-b sur "Sabbath, Bloody Sabbath", ou encore une flûte sur "Looking For Today"... Le son, parfaitement dosé, garde un côté sombre et démentiel (aidé par la voix hallucinante d'Ozzy Osbourne), mais englobe surtout bien l'ensemble hétéroclite en assurant parfaitement un rôle de catalyseur.

Le sempiternel reproche fait à Black Sabbath sur cette période concerne évidemment la production. Elle parait toujours autant désuète, et semble manquer de puissance. Pourtant est-ce vraiment un mal ? Le but ici n'est clairement pas d'envoyer la sauce. L'auditeur est plutôt emporté dans une danse lugubre mais sautillante, paradoxale et dérangeante comme la visite d'un cirque abandonné où, dans l'ombre, des cadavres de clowns vous sourient encore...